Conférence des Présidents 2013 Intervention de Jean-Pascal Thomasset,
Secrétaire Général de l’INAVEM Directeur de l’AVEMA / 1er adjoint au Maire de Nantua
L’aide aux victimes et les territoires
Mesdames et Messieurs les Présidents. Chers ami(e)s
Je vais à mon tour vous parler de territoires, de territoires en pleine mutation, je veux parler bien entendu de l’aide aux victimes, mais aussi des prochaines définitions territoriales que les communes vont devoir appréhender en 2014 avec les nouveaux EPCI, les établissements publics de coopération intercommunale, les communautés de communes ou agglomérations suivant la définition des départements dans lesquels nous évoluons. Mais auparavant permettez-moi un rapide état des lieux de notre réseau et du nerf de la guerre, à savoir nos financements.
Notre ministère de référence, le ministère de la justice a communiqué largement il y a quelques semaines de cela sur le budget 2014 en annonçant notamment pour la partie qui est la notre, 7 % d’augmentation en 2014 pour un budget d’environ 10 millions d’euros pour
l’aide aux victimes. Avec le bureau de l’INAVEM nous avons rapidement fait le calcul qui correspond environ à 700 000 € d’augmentation de subvention générale. Ces 700 000 € seront affectés à hauteur de 400 000 € aux 20 nouveaux BAV qui restent à créer. Le reste sera partagé entre le 08Victimes et les associations soit en moyenne 1 900 € d’augmentation par service ! Ce n’est bien sûr qu’une projection, maladroite et forcément inégale mais le résultat en 2014 ne sera pas loin de ce compte pour chacune de nos associations. La question se pose donc une nouvelle fois, Comment allons-nous ressourcer nos associations, avec cette aumône qui nous est faite ?
Le constat est le même auprès de nos parlementaires. Tous les rapports, toutes les autres consultations à visées législatives auxquelles nous avons participés n’ont absolument rien donné de concret !
Malgré le rapport de Nathalie Nieson sur le financement de l’aide aux victimes, l’inertie est palpable… et semble due à « Bercy » ! Mais le gouvernement, par la voix de son ministre de la justice et plus encore par celle du Premier d’entre eux qui a missionné la députée, ne doit il pas diriger ses services ? Les parlementaires qui font les lois, ne peuvent-ils pas se saisir de toutes les propositions de lois rédigées par les deux chambres, émanant de tous les groupes, pour faire voter une loi qui entérinerait la participation des infracteurs quel qu’ils soient au financement de l’aide qui est apportée quotidiennement aux victimes par les Associations conventionnées Justice ?
Entre temps les canadiens, dont vous savez qu’ils nous servent de référence pour alimenter notre réflexion sur nos financements, annoncent le 24 octobre 2013 de nouvelles mesures visant à doubler la suramende compensatoire que les criminels doivent verser et en veillant à ce qu’elle soit imposée automatiquement dans tous les cas. Ils nous expliquent qu’en rendant la suramende compensatoire obligatoire, la Loi sur la responsabilisation des contrevenants à l’égard des victimes veillera à ce que tous les délinquants soient tenus responsables de leurs actes. Au titre de ces modifications du Code criminel, la suramende équivaudra à 30 p. 100 de toute amende imposée ou, si aucune amende n’est imposée, elle sera de 100 $ pour les infractions punissables par procédure sommaire et de 200 $ pour les infractions punissables par mise en accusation. La suramende, qui est imposée aux contrevenants au moment de la détermination de la peine, est perçue et conservée par le gouvernement provincial ou territorial où le contrevenant est condamné et est utilisée pour aider à financer les services aux victimes d’actes criminels. Ceux qui ne peuvent pas payer pourront s’acquitter de la suramende compensatoire en participant à un programme de solutions de rechange à l’amende ou à d’autres programmes semblables, aux endroits où ils ont été mis en place.
Aujourd’hui c’est l’opposition parlementaire qui agite le landerneau politique et alimente les médias. Portée notamment par la voix d’une députée UMP, Mme Grosskost sur la suramende pénale, que nous avons communiquée à tous nos interlocuteurs, et qui s’est heurtée à un mur de silence. Il nous faut donc évoluer dans ce constat d’errance financière que nous faisons années après années et il nous faut affiner un peu plus encore la définition de nos services et surtout, j’en viens au coeur de mon exposé, dans l’adaptation qui doit être la nôtre face aux nouvelles définitions des territoires que la réforme des collectivités territoriales va appliquer à partir de janvier 2014. Cette réforme des collectivités territoriales de 2010 rend obligatoire pour les communes l’adhésion à une nouvelle intercommunalité, définie par l’Etat, au plus tard au 1er janvier 2014. Elle crée également deux nouvelles formes d’association : la métropole, pour les intercommunalités les plus importantes, et le pôle métropolitain, forme de syndicat mixte regroupant des intercommunalités à fiscalité propre. Je limiterai mon propos aux départements de province et je laisserai le soin à d’autres élus présents dans la salle liée de s’exprimer sur les grandes métropoles protocole que je connais moins en ce qui me
concerne.
Pour faire simple, à partir de janvier 2014 nous allons changer de dimension dans les départements. La petite communauté de communes de l’agglomération que vous connaissiez, que nous connaissions, va s’agrandir, va se mutualiser pour rejoindre des bassins de communication, des bassins de population beaucoup plus étendus et beaucoup plus large que le simple périmètre carré local d’autrefois. Pour illustrer mon propos dans le département d’où je suis originaire, d’une trentaine de communautés de communes et syndicats mixtes, nous allons passer à cinq zones d’intercommunalité redéfinies sur la carte du département. Cette loi bouscule donc et élargit le territoire mais surtout elle redistribue les compétences et les attributions des villes et des nouvelles intercommunalités. Toutes les cartes de décision font l’objet d’une nouvelle donne. La compétence sur l’eau, la compétence sur les transports la compétence sur la petite enfance la compétence sur les permis de construire… Les futurs PLUI Plans locaux d’urbanisme intercommunaux…Tout est en train de se rediscuter dans ces nouveaux pôles de diffusion. Je n’irai pas trop loin dans cette description mais je veux juste attirer votre attention sur les nouveaux décideurs qui vont voir le jour et que nous allons élire aux prochaines élections municipales du 23 et du 30 mars.
Les parlementaires ont voté une réforme qui entérine le principe d’une élection des élus communautaires au suffrage universel. Cette réforme favorise obligatoirement l’émergence du thème de l’intercommunalité dans la campagne. Le principe « 1 bulletin, 2 listes » rappellera clairement aux électeurs qu’ils voteront pour une équipe municipale et une équipe intercommunale. Pour les candidats, l’impasse ou l’euphémisation du fait intercommunal ne sera plus possible. Ils devront donc forcément se positionner sur les grands enjeux communautaires. Même réflexion dans la perspective des élections cantonales de 2015 où la réduction du
nombre des cantons va nous « déterritorialiser » les élus. Pourquoi ? Parce ce que le nombre de cantons va être divisé par deux (on passera de 4000 à 2000 cantons) et leur taille sera désormais identique au sein d’un même département, alors qu’aujourd’hui les écarts démographiques entre cantons vont de 1 à 10 dans plus de la moitié des départements. Les nouveaux cantons auront en moyenne plus de 30.000 habitants, après le redécoupage qui entrera en vigueur en 2015. Le lien du futur conseiller départemental avec son canton et ses électeurs va alors considérablement s’éparpiller.
Donc, et c’est là où je veux en venir dans ces nouvelles définitions de territoires, les liens avec les décideurs locaux vont se distendre du fait de ces mutualisations qui étendent les territoires au-delà de nos sphères habituelles de connaissances et de proximité. Il va donc falloir nous adapter une fois de plus et réfléchir à d’autres modes d’action. Si nos décideurs s’éloignent géographiquement, il faut que nos services d’aide aux victimes se rapprochent d’eux avec un élément majeur. J’ai appelé cet élément auprès de mes salariés et dans mon département la RPM en clin d’oeil avec un sport de fitness que certains d’entre vous pratiquent peut être ici (round per minute).
La RPM Réactivité, Proximité, Mobilité.
La RPM, c’est ce qui intéresse aujourd’hui les maires et les décideurs des départements.
C’est là où nous avons la plus-value de nos services d’aide à la personne à faire valoir en comparaison à d’autres services installés à nos côtés dans les départements.
Dans ma ville, il y a un Tribunal, avec des permanences du CDAD, de l’UDAF, de la sauvegarde de l’enfance, de syndicats divers, de l’Adil… Si la prestation du service d’aide aux victimes locale s’aligne sur les mêmes services que ces institutions l’attention des élus ne sera pas plus attirée par le service fourni que par celui de la sauvegarde ou d’une unité de prévention spécialisée. Il faut aux financeur de la lisibilité. Par contre si la RPM est au rendez-vous, et que le week-end qui arrive l’élu est en capacité d’avoir une aide immédiate du service d’aide aux victimes pour gérer dans sa commune un accident mortel de la circulation, un suicide, une émeute dans un quartier, une problématique des violences conjugales à régler immédiatement, et bien le regard qu’il va porter sur le service d’aide aux victimes au moment de l’obtention des subventions et d’élaboration des budgets va forcément être orienté sur un volant exponentiel voire sur le soutien à la création de cellules mobiles opérationnelles dans la proximité la mobilité et la disponibilité. Au vu de l’évolution actuelle des départements, il nous faut passer de la mutualisation de nos services, à la spécialisation.
Pas à la spécialisation dans nos activités généralistes, mais bien la spécialisation dans nos interventions. Nous devons être la haute couture du prêt-à-porter de l’aide à la personne… Et nous y parviendrons grâce à la compétence, naturellement, et à la spécificité de nos services généralistes, mais aussi grâce à nos modes d’intervention adaptés au terrain. Cette réflexion, je l’ai localement dans ma commune et vous aurez compris que ces nouvelles définitions de territoires peuvent être, à mes yeux, porteuses d’espoir et de création d’emplois pour nos associations, et surtout peuvent se conjuguer, pour ceux qui ont intégré dans les services les ISCG (Intervenants Sociaux en Commissariats et Gendarmerie) avec le doublement attendu de ces salariés dans le cadre des nouveaux PPD (Plan de Prévention de la Délinquance) qui sont en train de se finaliser dans les départements. À condition bien sûr d’adapter la prestation aux réalités du terrain qui ne peuvent plus
aujourd’hui se limiter à des permanences décentralisées de bureaux dans tel quartier ou dans des antennes de mairies locales. Il nous faut imaginer d’autres formes d’intervention, créer d’autres modules de prestations. Les SAVUs nous ont ouvert la voie. Ce que je viens de décrire dans la réactivité, c’est le quotidien de ces services dont la forme juridique a mis en difficulté le financement pérenne des associations qui les portent.
Nous devons nous nourrir et nous enrichir du savoir-faire et de l’extrême compétence que ces services ont acquis sur le terrain, mais il nous faut trouver une forme d’intervention qui puisse s’adapter à une réalité du droit du travail dans un financement d’associations où le mot astreinte sera forcément à limiter ou à bannir car vecteur d’un financement hors normes pour nos services. A partir des SAVUs, nous pouvons envisager des BAV itinérants, ou comme à Lyon par exemple avec la mise en place d’une cellule d’accueil post immédiate (projet en train de se mettre en route auprès de l’association du Mas Info Victimes, avec notamment je crois un véhicule mis à disposition par une banque.)
Toujours dans la région Rhône Alpes et dans le département de l’Ain qui m’est cher, j’expérimente aujourd’hui dans une de ces nouvelles communautés de communes un dispositif mobile qui intégrera un intervenant social en gendarmerie (sur le fonds FIPD (Fonds Interministériel de Prévention de la Délinquance) et un intervenant aide aux victimes payé et pris en charge par cette nouvelle collectivité territoriale. Horaires d’intervention. 11h00 20h00. Pas de temps de bureau et de permanence mais des interventions distillées directement sur le terrain et avec une possibilité de se déplacer et de répondre immédiatement aux demandes des élus, des gendarmes, du parquet. Ce dispositif n’est pas forcément novateur, il existe déjà dans d’autres structures mais nous avons décidé au sein du bureau de l’INAVEM d’élaborer et de construire en vue de l’assemblée générale, un livre blanc relatant et formatant un modèle type d’intervention axée sur la RPM. Les mutations de terrain sont en cours, notre coeur de cible est il toujours bien orienté ? Est-ce que notre offre de service est toujours adaptée ? La proximité est déjà un de nos atouts, les permanences au Commissariat, en gendarmerie, à l’hôpital ou dans certains quartiers sont des réelles avancées. La réactivité est aussi une
de nos plus-values. La saisine de nos associations sur la base des articles 41 du CPP, nos capacités d’organisation face aux catastrophes collectives ou aux événements traumatiques, le support 7 jours sur 7 du 08Victimes sont des prérogatives fortes qu’il nous faut développer et pour lesquelles nous devons mieux communiquer encore.
Je parlerais aussi volontiers de nos formations à venir en 2014 dont l’une d’elle s’intitulera :
Prise en charge des victimes en urgence et en immédiateté ainsi que du dispositif pour les femmes en très grand danger (TGD) dont notre réseau sera prochainement le porteur majeur.
Au-delà de tout cela, il nous manque la mobilité… C’est le thème de l’intervention suivante dont j’espère vous apprécierez l’originalité du système présenté. (référence à Axelle Naslin, designeuse d’espace qui a travaillé sur un camion de l’aide aux victimes, intégrant, information et soutien, chaleur et confidentialité pour aller partout où les victimes ont besoin de services de qualité).
Le bureau de l’INAVEM vous donne rendez-vous à l’assemblée générale le 18 juin 2014 pour continuer notamment sur ce thème de réflexion.
Nous avons besoin de vos avis. Nous avons besoin de vos contradictions. Je n’espère pas vous convaincre pleinement, j’espère juste vous donner l’envie d’anticiper avec nous et que nous puissions penser ensemble à nous sortir des freins historiques parfois liés à la construction de nos services.
J’ai bien conscience que tout n’est pas transposable, que les interventions en milieu rural ou en milieu urbain peuvent être diamétralement opposées et qu’il nous faut parfois nous inscrire durablement dans un quartier avant d’être correctement identifiés… Néanmoins à l’heure où la justice s’interroge sur le magistrat du 21e siècle, nous devons, nous aussi, avoir cette projection sur les services d’aide aux victimes de demain. Je crois qu’il nous faut oser de nouvelles formes de services, oser l’apport de nouveaux intervenants dans nos équipes de salariés et de collaborateurs… Je pense aux victimes qui doivent intégrer nos réseaux, je pense aussi, au risque de choquer, à de nouveaux collaborateurs comme les femmes ou hommes religieux où peut-être de manière plus neutre, à l’accès à des domaines liés à la spiritualité, qui peuvent permettre à certaines victimes de franchir un pas, là où la psychologie et le droit ont montré leurs limites… Je pense à de nouveaux administrateurs ou face à la désertion du monde judiciaire, nous devons retrouver d’autres légitimités avec le monde économique et le monde de l’entreprise particulièrement. Dans le rapport de Mme Nieson, il y a notamment une note intéressante qui stipule en préambule que la recherche des financements et le stress lié à l’insécurité peuvent amener nos dirigeants à lâcher prise et à se décourager… Ne soyons pas de ceux-ci. Suivez-nous, mobiliser vos énergies créatrices, aidez-nous, car je peux vous dire que le bureau et les salariés de la Fédération travaillent sans relâche à ouvrir des portes, à allumer des clignotants, à engager des nouvelles formations, à faire ce que Nelson Mandela disait encore il y a quelques mois de cela : « Lorsqu’un seul homme rêve, ce n’est qu’un rêve mais si beaucoup d’hommes rêvent ensemble, c’est le début d’une nouvelle réalité. »
Jean Pascal Thomasset Secrétaire Général INAVEM.